Au cours de la quatrième décennie de relations diplomatiques, l’année du 15e anniversaire de l’établissement du partenariat stratégique, Astana et Paris atteignent l’apogée de leurs liens politiques, économiques et humanitaires.
Globalnews.kz s’est entretenu avec Didier Canesse, Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire de France auprès de la République du Kazakhstan, au sujet de l’entente mutuelle entre les dirigeants, du boom des investissements, du soutien à l’Ukraine, de la non-extradition d’Ablyazov, des Jeux Olympiques, de l’esprit civique et de la Route de la Soie verte.

Partenariat stratégique et appréciation des réformes
Monsieur l’Ambassadeur, la première question concerne les relations bilatérales entre le Kazakhstan et la France. Comment évaluez-vous le niveau actuel de l’interaction politique entre nos deux Etats ? Quelle est l’appréciation de Paris sur les réformes et transformations de grande ampleur en cours dans notre pays, et sur la trajectoire annoncée pour le « Nouveau Kazakhstan » dans son ensemble ?
Le Kazakhstan est un pays qui compte pour la France, un partenaire stratégique comme vous l’avez rappelé. Cela veut dire tout d’abord que nous entretenons un dialogue politique de confiance, comme l’a montré la rencontre entre nos deux présidents à Paris en novembre dernier. S’agissant de la question primordiale de la sécurité sur le continent euro-asiatique, nous sommes unis dans la conviction qu’elle ne peut être garantie que par le strict respect par tous les Etats des principes fondamentaux de la Charte des Nations unies, notamment le respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté des Etats. Nous partageons également un attachement au multilatéralisme comme méthode de régulation des relations internationales et de règlement des problèmes globaux.
Dans un monde en constante évolution, la réforme est un impératif sauf à connaître la régression. Les objectifs du « Nouveau Kazakhstan », notamment le renforcement de l’Etat de droit, la réduction des inégalités sociales, la lutte contre la corruption, l’amélioration de la gouvernance répondent à des aspirations au changement très perceptibles dans la société kazakhstanaise. C’est un chantier ambitieux dont la réalisation nécessitera une volonté politique de longue haleine. Ma conviction est aussi que la transformation du Kazakhstan ne pourra être pleinement couronnée de succès sans une forte implication de la société civile. L’esprit citoyen, l’engagement politique et social sont moteurs de progrès et compléments indispensables de l’action gouvernementale.
Investissements et projets communs
Emmanuel Macron qualifie le Kazakhstan de principal partenaire économique en Asie centrale. Selon Kassym-Jomart Tokaïev, la France est un investisseur de premier plan dans l’économie du Kazakhstan. Fin 2022, le chiffre d’affaires commercial entre nos pays a augmenté d’un tiers et atteint 4 milliards de dollars. Comment s’explique, selon vous, cette croissance économique ?
Effectivement, nos échanges commerciaux qui avaient atteint leur niveau le plus bas en 2020 ont significativement bénéficié de la reprise économique mondiale, dans la foulée de la levée des restrictions liées à la pandémie de Covid-19. Le volume global de nos échanges retrouve le niveau qui était le sien en 2014-2015. Si la hausse mondiale des prix du pétrole a soutenu les livraisons d’hydrocarbures kazakhstanais vers la France, le dynamisme de notre commerce bilatéral a également bénéficié de la progression des exportations françaises vers le Kazakhstan, tirées par l’industrie aéronautique et ferroviaire, notamment grâce à l’implantation sur le marché kazakhstanais des entreprises Thales, Airbus, Alstom et la bonne conduite de leurs activités avec leurs partenaires kazakhstanais. Il en est de même pour les produits agricoles et agroalimentaires français, qui profitent d’une popularité accrue sur le marché kazakhstanais pour leurs qualités productives, nutritives ou gastronomiques.
Plus de 170 entreprises françaises de premier plan et coentreprises sont déjà présentes au Kazakhstan. Quels sont les projets existants que vous qualifieriez de réussis, et dans quels domaines existe-t-il encore un potentiel de croissance ?
Les relations économiques entre la France et le Kazakhstan sont anciennes, profondes et dynamiques : nous fêtons cette année les 15 ans de notre partenariat stratégique, qui s’est développé dans des secteurs aussi variés que l’industrie, l’énergie, l’agriculture les transports ou encore l’aéronautique. Les succès au Kazakhstan d’entreprises françaises comme Alstom, Orano, Airbus, TotalEnergies, Thalès, Saint-Gobain, Lactalis, Vicat, AirLiquide, pour n’en citer que quelques-unes, témoignent de la vitalité de ce partenariat.

Les visites du Président Kassym-Jomart Tokaïev à Paris en novembre 2022 et du Ministre Olivier Becht à Astana et Almaty en mai 2023 ont été l’occasion de donner un nouvel essor à notre relation économique, tous azimuts. Dans le domaine de la transition énergétique, le projet Mirny de TotalEnergies, Samruk-Kazyna et KazMunaïgas, qui prévoit la construction d’une centrale éolienne d’1 GW au Kazakhstan, est un projet aux dimensions uniques dans la région. Nous travaillons aussi au renforcement de nos liens dans le secteur agricole. Les entreprises françaises sont déjà bien présentes, mais nous souhaitons élargir cette coopération : santé animale, génétique, enseignement agricole, agritech, grandes cultures. La France et le Kazakhstan sont deux grands pays agricoles, et nous pouvons faire mieux et plus dans ce domaine, alors que la guerre d’agression de la Russie en Ukraine fait peser des menaces sur la sécurité alimentaire mondiale.
Enfin les secteurs de l’énergie et des infrastructures, où les entreprises françaises sont traditionnellement actives, présentent un potentiel de développement exceptionnel au Kazakhstan.
La Route de la Soie verte
Traditionnellement, le secteur de l’énergie occupe une place importante dans les échanges commerciaux entre nos deux pays. Le Kazakhstan est un fournisseur fiable de produits pétroliers et d’uranium pour la France et l’Europe. Vous avez déjà mentionné la construction d’un parc éolien. Lors de l’un des événements gouvernementaux, vous avez parlé de la nouvelle Route de la Soie verte. Comment voyez-vous le développement de ce secteur prometteur et les possibilités de transition énergétique ?
Vous avez raison de rappeler que le Kazakhstan est un partenaire fiable et de tout premier rang pour la fourniture d’hydrocarbures et d’uranium sur les marchés mondiaux, en particulier européens. Nous sommes attentifs à maintenir et approfondir la qualité de cette relation stratégique entre le Kazakhstan et l’Union européenne.
Au-delà des énergies fossiles traditionnelles, le Kazakhstan présente de nombreux atouts pour le développement de nouvelles sources d’énergie, qui est une priorité partagée par nos deux pays, comme en témoigne l’accord signé entre nos gouvernements en novembre 2022, sous les auspices du Président Tokaïev, pour conjuguer nos efforts dans la lutte contre le réchauffement climatique.
La transition énergétique est multidimensionnelle et concerne tous les secteurs. Elle concerne d’abord la production d’électricité verte pour les besoins des citoyens, à l’instar du projet Mirny de TotalEnergies, mais elle concerne aussi tous les autres secteurs de l’économie : les transports (biocarburants pour l’aviation, hydrogène pour le train), l’agriculture avec le développement de l’agriculture de précision, l’industrie avec l’introduction de nouvelles technologies.

Je citerai quelques exemples récents qui illustrent ce mouvement : en France, dans le secteur de l’industrie, le gouvernement français soutient ArcelorMittal pour le lancement de technologies permettant, à base d’hydrogène notamment, la production d’acier bas-carbone. Dans le secteur du transport international de marchandises, CMA-CGM développe des solutions décarbonées (à base d’hydrogène également) de transport international de marchandises. TotalEnergies développe d’importants projets de production d’hydrogène et d’ammoniac verts, en France et à l’étranger. Alstom a inauguré cette année son premier train à hydrogène en Amérique du Nord. AirLiquide alimentera en hydrogène vert les véhicules des Jeux Olympiques de Paris en 2024.
Je mentionne ces entreprises, leaders mondiaux de leurs secteurs, car elles sont souvent françaises et toutes sont présentes au Kazakhstan : elles se préparent à répondre au défi de la transition énergétique, avec le soutien des Etats et gouvernements et oui, les futures routes de la soie seront vertes, car nous n’avons pas le choix ! Cela nous impose – acteurs publics et privés – de trouver dès aujourd’hui des solutions technologiques, logistiques, industrielles, financières, qui apportent des réponses aux défis de demain et représentent autant d’opportunités de développement de nouveaux projets, de création d’emplois et de valeur ajoutée.
Aider l’Ukraine autant que nécessaire
Passons à la question de l’agenda international actuel, où l’Ukraine reste le sujet numéro un. Le président Macron est plus actif que la plupart des dirigeants mondiaux. Après sa visite en Chine, la presse a écrit que, par l’intermédiaire de Xi Jinping, il avait l’intention de transmettre à Poutine son plan pour une résolution pacifique du conflit. Dans le même temps, l’Ukraine reçoit déjà des missiles français à longue portée SCALP, et Le Monde affirme que Paris est favorable à l’adhésion de Kiev à l’alliance.
Selon vous, où en sommes-nous dans ce conflit ? Peut-on envisager un processus de paix à l’heure actuelle ? En d’autres termes, quand et comment la guerre pourrait-elle prendre fin ? Et quelle est la probabilité qu’elle se termine par l’utilisation d’armes nucléaires ?
Comme elle l’avait fait déjà en 2014 en s’emparant de la Crimée, la Russie a une nouvelle fois violé sans équivoque les règles qui garantissaient la paix entre les Etats européens depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Reposant sur le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des Etats, deux principes essentiels consacrés par la Charte des Nations unies, ces règles avaient été édictées pour que plus jamais un pays ne soit victime d’une agression armée de la part d’un de ses voisins.
Or, reniant sa propre reconnaissance des frontières internationales de l’Ukraine, telle qu’exprimée notamment dans le memorandum de Budapest de 1994, le 24 février 2022 la Russie a envahi l’Ukraine dans le seul but de l’asservir et d’annexer une partie de son territoire.
Parce que le bien et le mal ne sauraient être renvoyés dos-à-dos, parce qu’en tant que membre permanent du Conseil de sécurité elle est investie d’une responsabilité particulière pour la préservation de la paix dans le monde, la France ne peut pas être neutre.Elle se tient résolument et durablement aux côtés de l’Ukraine pour l’aider dans l’exercice de son droit de légitime défense face à l’agresseur russe, y compris par des livraisons d’armements. Avec ses alliés de l’OTAN et partenaires européens, la France s’est engagée à aider l’Ukraine aussi longtemps que nécessaires. Ceci est le sens des « garanties de sécurité » au profit de l’Ukraine agréées en marge du sommet de l’OTAN de Vilnius.

S’agissant de la paix, le président Macron a clairement exprimé ses vues lors du Forum Globsec à Bratislava le 31 mai dernier.
« La paix en Ukraine et sur notre continent ça ne peut pas être un cessez-le-feu qui consacre l’état de fait, qui reviendrait à recréer un conflit gelé et qui, en quelque sorte, viendrait consacrer la prise de territoire contrevenant à tous les principes du droit international (…). Il n’y a qu’une paix, celle qui respecte le droit international, qui est choisie par celui qui est agressé, c’est-à-dire le peuple Ukrainien ».
Donc, faute de signal sur l’intention de la Russie de se retirer des territoires qu’elle occupe illégalement en Ukraine, il faut se préparer à ce que ce conflit dure.
Quant à la stratégie d’intimidation nucléaire russe, elle a échoué à atteindre son objectif de division des Occidentaux. Elle a également échoué à les dissuader de venir en aide à l’Ukraine.
Comment la France a-t-elle perçu la rébellion armée du Groupe «Wagner», sachant que des mercenaires russes sont également actifs dans les anciennes colonies françaises d’Afrique ? En quoi le discours de Prigozhin a-t-il été révélateur ? Dans quelle mesure le régime de Poutine est-il fort et solide, selon les évaluations de Paris ?
Les régimes autoritaires sont forts jusqu’au moment où ils se brisent, faute de mécanismes de résolution des conflits politiques et sociaux. Ils ne savent répondre aux opinions critiques, à la volonté de changement, aux aspirations démocratiques, à l’exigence du respect des droits de l’Homme que par la répression. Jusqu’au jour où un soulèvement populaire met fin brutalement à la tyrannie. Ce moment est généralement imprévisible. C’est pourquoi les tyrans ont si peur du peuple et s’attachent à le maintenir dans un état de soumission et d’apathie politique.
La rébellion de Prigozhin a révélé les failles parcourant le système russe et les conflits existant au sein de l’institution militaire. L’avenir du groupe Wagner et de ses mercenaires, dont bon nombre sont des criminels endurcis, est incertain.
Vladimir Poutine a admis publiquement que l’Etat russe finançait massivement le groupe Wagner. Ses mercenaires sont l’un des instruments de la politique de déstabilisation menée par la Russie dans plusieurs pays d’Afrique francophone. Partout où il s’est déployé Wagner a importé des pratiques mafieuses et prédatrices. Il s’est également rendu coupable d’exactions à l’encontre de populations civiles. A preuve par exemple, le rapport accablant des Nations Unies établissant la responsabilité du groupe Wagner dans le massacre de 500 civils à Moura, au Mali, en mars 2022.
La crise ukrainienne a-t-elle affecté l’intensité de votre travail et de celui du personnel de l’ambassade ? Constate-t-on une augmentation du nombre de demandes de visas de la part de citoyens russes fuyant la guerre au Kazakhstan ? Y a-t-il parmi eux des réfugiés politiques, compte tenu de la décision de la Cour nationale française qui a confirmé le droit d’asile des réfractaires et des déserteurs de Russie ? À quel niveau se situe la délivrance des visas aux citoyens du Kazakhstan ?
La délivrance de visas pour la France est en augmentation régulière depuis la fin de l’épidémie de covid. Nous en avons délivré 8 000 en 2022 et déjà 6 000 sur les six premiers mois de cette année.
Oui les ressortissants russes sont plus nombreux à demander des visas depuis le début de l’agression de la Russie contre l’Ukraine. Ceci comprend des demandes d’asile. Elles sont traitées au cas par cas en fonction de chaque situation individuelle.
Affaire Ablyazov
L’oligarque kazakh en fuite, Mukhtar Ablyazov, qui se cache en France depuis longtemps, s’est vu refuser le droit d’asile par un tribunal français. Pouvez-vous évaluer les chances d’extradition vers le Kazakhstan d’un homme qui a été reconnu coupable dans notre pays d’avoir organisé un meurtre et d’avoir détourné plusieurs milliards de dollars ? Et qu’est-ce qui empêche Paris de l’extrader, compte tenu du traité d’entraide judiciaire en matière pénale ?
La séparation des pouvoirs est l’un des principes fondamentaux de la démocratie française. Il en résulte que la Justice est indépendante du pouvoir politique. L’exécutif ne peut interférer dans ses décisions. L’indépendance et l’impartialité des juges sont garantis par la spécificité de leur statut. Ils ne sont pas des fonctionnaires et ne sont par conséquent pas soumis à l’autorité hiérarchique d’un ministre. Ils sont inamovibleset leurs décisions ne peuvent être contestées que dans le cadre de l’exercice des voies de recours. C’est une autorité constitutionnelle, le Conseil supérieur de la magistrature, qui assure la gestion de leur carrière. Ceci signifie que les juges ne sont pas nommés par le ministre de la Justice ou le président de la République, mais par leurs pairs.
Tout ceci pour dire qu’en vertu du principe de séparation des pouvoirs il ne m’appartient pas de commenter la situation judiciaire de M. Ablyazov.

S’agissant du traité d’entraide judiciaire, il n’est pas encore en vigueur car les procédures de ratifications ne sont pas achevées.
«Ceux qui vivent sont ceux qui luttent!»
Monsieur Canesse, il est impossible de ne pas aborder le sujet des émeutes de grande ampleur qui ont éclaté à plusieurs reprises en France ces derniers mois. Les Gilets jaunes «, les manifestants contre la réforme des retraites, les pogroms et les pillages après le meurtre d’un adolescent à Nanterre… Pourquoi, en France, tout événement relevant de l’ordre pénal ou social se transforme-t-il immédiatement en une confrontation violente dans les rues, avec des victimes et des dommages se chiffrant en millions ?
« Ceux qui vivent sont ceux qui luttent », disait Victor Hugo. Les droits et les libertés sont toujours le résultat d’une conquête. La France a une tradition de luttes politiques et sociales profondément enracinée dans son histoire. Les Français sont des citoyens actifs, revendicatifs, exigeant vis-à-vis du gouvernement et des institutions, ce qui est un facteur de progrès. Mais cela peut conduire à des excès, comme les débordements de violence qui se produisent parfois lors de manifestations. Lorsqu’ils durent et prennent des formes extrêmes ces débordements sont des défis à l’autorité de l’Etat. Il importe de la restaurer, mais dans le strict respect du principe de proportionnalité de l’usage de la force par les unités de maintien de l’ordre. Cette question de l’adéquation de la réponse policière est un sujet extrêmement sensible en France, car l’opinion publique ne tolère pas les usages disproportionnés de la force. Les émeutes déclenchées par la mort par balle d’un jeune homme lors d’un contrôle de police il y a quelques semaines en banlieue parisienne en sont l’illustration. Le policier impliqué dans cet homicide a été placé en détention, il devra répondre de ses actes devant le juge. Faire respecter l’autorité de l’Etat c’est aussi imposer à la police un comportement exemplaire et sanctionner les écarts de conduite lorsqu’ils se produisent. C’est une condition de la confiance des citoyens français dans leurs institutions démocratiques.
Grand espace et modeste tourisme
Revenons aux relations bilatérales. Parmi les événements récents, on note une coopération entre le Kazakhstan et la France pour la production conjointe de satellites spatiaux. Et l’intensification de la coopération dans le domaine des soins de santé. Que sait-on des détails spécifiques des accords dans ces domaines ?
L’industrie spatiale est un des fleurons de la France. Notre pays joue un rôle déterminant dans la branche spatiale du groupe européen Airbus Defense and Space. Ce dernier a créé en 2010 la coentreprise Ghalam en s’associant avec la société kazakhstanaise Kazakhstan Garysh Sapary (KGS). Cette coentreprise exploite le Centre d’assemblage et de tests de satellites à Astana et a vocation à servir de base à de futurs projets dans le domaine satellitaire.
La France est également présente dans le secteur spatial kazakhstanais via la société Thales qui a fourni, en collaboration avec des sociétés partenaires, la série des satellites de télécommunication KazSat dont deux sont actuellement en orbite. Thales est intéressé par de nouveaux projets commerciaux.

Notre coopération Santé a connu un essor spectaculaire au cours des deux dernières années. Ses meilleurs résultats concernent la cancérologie, la diffusion des innovations technologiques médicales, l’accès au soin dans les zones rurales. La France fait partie des leaders mondiaux pour la qualité de sa médecine, c’est un domaine où elle peut apporter beaucoup au Kazakhstan.
Comment évaluez-vous le développement de la coopération humanitaire ? Pourquoi au Kazakhstan les entreprises françaises sont-elles largement représentées, et le tourisme est peu développé ? Les possibilités d’ouverture d’une communication aérienne directe entre les pays sont-elles en cours de discussion ?
Votre remarque est juste, peu de Français viennent passer des vacances au Kazakhstan. Il y a plusieurs raisons à cela. La première est l’éloignement et le prix très élevé des billets d’avion. Ensuite une fois sur place il y a encore de grandes distances à parcourir pour visiter les sites naturels qui constituent la principale richesse touristique du Kazakhstan. Et les sites plus exceptionnels, comme ceux de la péninsule de Manguistau, ne sont accessibles qu’avec les services d’un guide. Généralement ils sont dépourvus d’infrastructures pour l’accueil des touristes. Il faut partir avec ses provisions d’eau et de nourriture, dormir sous la tente. Cette forme de tourisme, que personnellement j’aime beaucoup, n’est pas du goût de tout le monde.
Quant à l’ouverture d’une ligne aérienne directe entre le Kazakhstan et la France, c’est une question commerciale pour Air France et Air Astana. La forte croissance du nombre de visiteurs kazakhstanais en France que nous constatons à travers la délivrance de visas, la perspective des jeux Olympiques de Paris en 2024, justifieraient je pense d’envisager sérieusement le rétablissement d’une liaison directe, comme cela existait avant l’épidémie de COVID.
La langue de Voltaire et de Rousseau
Quelle est la popularité des universités françaises auprès des jeunes Kazakhs aujourd’hui, combien de visas d’étudiants sont délivrés aux citoyens kazakhs ? Précédemment, vous avez dit avec regret que la langue française n’était pas très populaire dans notre pays, à quoi cela est-il dû selon vous ? Est-ce que l’ouverture de deux nouvelles écoles à Astana et Almaty, évoquées également par les présidents, inversera la tendance négative ?
Environ 450 Kazakhstanais poursuivent leurs études en France. C’est peu par rapport aux 300 000 étudiants internationaux accueillis chaque année dans notre pays. Si la France est aussi attractive, c’est que ses établissements d’enseignement supérieur sont de très haut niveau dans les tous les domaines du savoir et que le coût des études en France est raisonnable. Gratuite dans les établissements publics pour les Français et les ressortissants de l’Union européenne, la scolarité des étudiants non-européens est elle aussi prise en charge par l’Etat, mais pas en totalité. Une fraction de ce coût est facturée aux étudiants. Les tarifs sont modérés : 3 000 euros environ pour une année de Master ; 500 euros pour année de Doctorat ! Pour l’Etat français le savoir est une richesse qui se partage. Ce n’est pas une marchandise dont on fait commerce !
Le niveau B2 en français est requis pour s’inscrire dans une université. Mais il y a aussi une offre d’enseignement en langue anglaise. Pour plus d’informations j’invite les lecteurs à consulter le site de l’agence Campus France. J’ajoute qu’il y a des possibilités de bourses, comme par exemple les programmes Abaï-Verne ou Make our Planet Great Again. Et bien sûr Bolachak. Pour les étudiants ayant besoin d’une préparation linguistique, les cours des Alliances Françaises d’Astana, Almaty, Chymkent et Karaganda sont la meilleure option. En partant de zéro, le niveau B2 peut être atteint à la fin de la deuxième année de cours.

Hélas le Kazakhstan est en train de perdre un pan du savoir – la connaissance de la langue française. Tandis que le français est la deuxième langue la plus enseignée dans le monde après l’anglais, son apprentissage a été presque totalement supprimé au Kazakhstan. Selon les chiffres du ministère de l’Education, le français est enseigné à moins de 1% des élèves. Pourtant, le français est la cinquième langue la plus parlée au monde avec 350 millions de locuteurs. Il est langue officielle dans 29 pays ! Cette situation ne pourra être redressée que s’il y a une volonté politique de le faire de la part des autorités kazakhstanaises. Et ça prendra du temps car il faudra commencer par rouvrir des chaires de français, reformer des linguistes spécialistes de français et des professeurs de français.
Le projet d’ouverture de deux écoles internationales françaises, l’une à Astana, l’autre à Almaty s’inscrit dans notre stratégie d’appui à la relance de l’enseignement du français. Il s’agira d’écoles multilingues où le français sera la langue dominante aux côtés du kazakh, de l’anglais et du russe. Le curriculum d’enseignement général sera le même que dans les écoles de France. Une partie des enseignants seront des professeurs titulaires de l’Education nationale française.
Par ailleurs, nous apportons aussi notre soutien aux écoles 17 d’Astana, 25 d’Almaty et 95 de Karaganda où des sections francophones bilingues ont été récemment établies afin de faire de ces établissements des pôles d’excellence de l’apprentissage du français. Chaque année des élèves de ces écoles sont admis dans des établissements d’enseignement supérieur français. La maîtrise du français, en plus de l’anglais, les prédestine à un bel avenir.
Les Jeux olympiques sont proches
Nous attendons tous avec impatience les Jeux olympiques qui se tiendront à Paris l’année prochaine. Saviez-vous que des spécialistes français aident les judokas du Kazakhstan à se préparer pour les JO de 2024 ? Le célèbre judoka Teddy Riner, triple champion olympique, était venu pour animer un atelier de formation !
L’équipe nationale de Judo du Kazakhstan est entraînée par un ancien champion français, Stéphane Traineau. C’est lui qui a invité Teddy Riner à Almaty en janvier dernier. J’espère que les judokas kazakhstanais reviendront des jeux olympiques de Paris avec des médailles ! C’est aussi un Français, Tarek Abdessalem, qui est entraineur de l’équipe nationale de karaté. Elle vient de remporter la première place de la compétition par équipe aux championnats d’Asie. Lorsqu’ils unissent leurs forces, Français et Kazakhstanais sont invincibles!

Les jeux olympiques et para-olympiques de 2024 à Paris seront je l’espère une grande fête, et aussi une vitrine des savoir-faire français en matière d’équipements sportifs, de formation et d’entrainement. La France est engagée à ce qu’ils soient exemplaires, s’agissant notamment de la lutte contre le dopage, de la promotion de l’égalité hommes-femmes et du combat contre les discriminations.
Pour poursuivre sur le thème du sport… Les Français ont de fortes traditions dans l’élevage de chevaux, ils peuvent donc apprécier les compétences des joueurs de kokpar kazakhstanais. Avez-vous eu l’occasion d’assister à ce jeu ? Quelles sont vos impressions ?
La France est un pays de haute culture et traditions équestres. L’équitation de tradition française, est inscrite au patrimoine immatériel de l’humanité. Cette recherche de la grâce, de la sophistication des mouvements, de l’harmonie entre l’homme et l’animal est un art à part entière. Le Cadre Noir de Saumur est un des plus brillants perpétuateurs de cette tradition d’excellence. L’équitation c’est aussi un sport populaire, celui qui compte le plus de licenciés après le football et le tennis. 700 000 personnes, majoritairement des femmes, sont inscrites à la Fédération française d’équitation. Les Français se passionnent aussi pour les courses de chevaux. Les 241 hippodromes du pays accueillent chaque année près de 20 000 compétitions et les paris génèrent un chiffre d’affaires de 9 milliards d’euros. Cette passion des Français pour l’équitation revêt une dimension économique significative. Avec ses dizaines de milliers d’emploi, la filière cheval représente une composante importante du développement des territoire ruraux.
Oui bien sûr j’ai déjà assisté à des kokpars ! La performance sportive des cavaliers et des chevaux est vraiment impressionnante. Ces compétitions sont uniques également par l’ambiance passionnée et chaleureuse régnant parmi les spectateurs.
Monsieur Canesse, votre carrière diplomatique à l’étranger s’étend sur plus de 20 ans. La notion de «nostalgie» du chez soi, de la patrie, vous est-elle familière ? Comment un diplomate professionnel y fait-il face ?
Être diplomate c’est tous les jours représenter son pays et promouvoir ses intérêts. Le lien avec lui n’est jamais rompu. Il est au contraire étroit. Les ambassades sont des petits coins de France dans presque tous les pays du monde. Être diplomate c’est aussi avoir fait le choix de l’ouverture au monde, de la découverte d’autres cultures, d’autres réalités humaines, politiques et sociales. Ça ne laisse pas de place à la nostalgie!
